En effet, l’anthropologie socioculturelle/culturelle/sociale a ses racines dans l’expansion de la civilisation occidentale aux ambitions impérialistes et colonialistes. Elle a même été au service des puissances colonisatrices en collectant des informations sur l’histoire des peuples dits autochtones, non seulement pour mieux les dominer et les « civiliser » mais surtout pour s’enorgueillir des progrès de la société occidentale placée au sommet de la civilisation humaine. C'est alors que la sociologie fut consacrée à l'étude du monde civilisé et l'anthropologie au monde des "primitifs et barbares"! Dans ses travaux sur les Nuer au Soudan et en Cyrénaïque en Afrique du Nord, E.E. Evans- Pritchard n’a-t-il pas collaboré avec l’administration coloniale britannique ? Pendant la deuxième guerre mondiale, Evans-Pritchard n’a-t-il pas participé au recrutement des troupes irrégulières parmi les Anouak pour attaquer les Italiens ? Bien avant Evans-Pritchard, Malinowski le père fondateur du fonctionnalisme et de l’observation participante en ethnographie utilisait des termes comme sauvages, primitifs pour décrire la vie des trobriandais du Pacifique. C’est dire que les premiers anthropologues ne sauraient parler d’objectivité dans leurs portraits des sociétés non-occidentales. La simple utilisation des termes « primitifs, sauvages et barbares » indiquaient déjà si besoin en était, qu’ils avaient pris une certaine posture idéologique dans leurs représentations des peuples non-occidentaux. Tel était le cas du langage utilisé par les anthropologues nord américains tel que Lewis Henry Morgan dans sa description des peuples indiens et l’évolution des sociétés humaines : sauvages, barbares et civilisés. Ce fut alors la domination de la pensée évolutionniste linéaire dans la recherche anthropologique nord-américaine jusqu'à l’arrivée de Franz Boas considéré aujourd’hui comme le père fondateur de l’anthropologie américaine ou disons de l’anthropologie moderne américaine. Formé comme physicien et géographe, Boas encouragea une approche critique et equilibr dans la recherche anthropologique. Pour Boas, l’anthropologue doit aller à la recherche des faits sociaux de manière holistique, c'est-à-dire en explorant toutes les dimensions de la vie sociale sous l’angle linguistique, culturel, archéologique et biologique/physique. D’où l’émergence des quatre branches dans l’anthropologie américaine. C’est aussi Boas qui encouragea l’étude de chaque société humaine selon ses spécificités ou particularités culturelles, et l’abandon des termes préconçus et des jugements de valeur comme sauvages, primitifs, barbares, etc. il développa alors le principe de relativisme culturel/particularisme historique dans l’approche ethnographique. L’ethnocentrisme ne saurait être le principe fondateur ou la pièce maitresse de l’anthropologie. Chaque société a ses propres valeurs, ses croyances, en un mot sa culture. Selon Boas, des notions comme 'race' sont des construits culturels. Il est donc clair que Boas révolutionnait l’approche anthropologique qui s’était précédemment lancée à fonds dans la spéculation, l’élaboration des jugements de valeur plutôt qu’a la recherche et à la compréhension de ce qui fait de nous tous des humains.
Depuis lors l’anthropologie connait petit à petit une certaine amélioration de son image et n’est plus l’apanage de « l’homme » occidental. Ce qui sans doute créa des tensions et continue de faire couler beaucoup d’encre. Certains anthropologues souhaiteraient continuer dans la spéculation, l’utilisation des termes comme les peuples primitifs, sauvages et barbares. D’où la persistance dans les styles d’enseignement anthropologique en parlant des peuples « exotiques ». Le discours du politiquement correct comme les « sociétés simples » pour parler en réalité des « primitifs, barbares » qui sont toujours en Afrique et les forêts amazoniennes. Mais le primitif, de qui s’agit-il ? Est-ce la projection en l’autre de ses propres peurs et fantasmes ? L’utilisation des recherches anthropologiques dans les classes et universités pour parler des primitifs au présent donne toujours l’impression (et c’est ce qui est d’ailleurs souvent recherché) que le premitif est à côté. Mais de toute façon parler du « primitif » au présent ou au passé ne saurait justifier la validité de l’anthropologie comme science objective car l’on ne saurait parler d’objectivité dans les sciences de celui/celle qui traite l’autre de primitif avant même de l’avoir connu. Et si le primitif n’a jamais existé ou n’existe plus, il fallait et il faut l’inventer. Alors, certains anthropologues persistent à vouloir bien maintenir le mythe : d’où la production et la dissémination des films ou documentaires essentialisant les peuples amazoniens ou les !Kung en Afrique australe. C’est le primitivisme anthropologique, n’est-ce pas ? Aujourd'hui, les anthropologues partisans du primitivisme ont du mal à se départir de leur passion anthropologique fondée sur la promotion du primitivisme.